Le cri du mal-pensant

Publié le par Eminescu

Il est des jours décidément où l'on ne peut se résoudre à être bien gentil avec les gens, avec les plus pauvres surtout. Le soleil n'illumine ni les places, ni les arbres le longs des rues, les cafés en terrasses ou de belles poitrines dans de jolies décolletés. Pour avoir pitié des pauvres, il faut être riche.

Moi, on m'avait astreint à toutes les tâches les plus ingrates dans ma petite boîte d'intérim. On me traitait comme de la merde pour un salaire de misère. Et pendant que les bons citadins partent en vacances, que ne restent dans les rues que la lie du peuple: la racaille et les clodos.

Je m'étais encombré de sacs plastiques dans le supermarché du coin. Avec mon découvert, pas même de quoi payer tout ce que je voulais de bouffe.

L'angle des boîtes et le verre des bouteilles cognaient sur mes mollets, me forçaient à écarter les bras, puis la douleur de mes épaules m'obligeait à nouveau à m'empêtrer les pattes de mes sacs. J'essayais d'évoluer à l'ombre des façades. Je dégoulinais. Et la sueur et la pollution sur ma gueule m'avait fait un espèce de masque brûlant.

Image:Hieronymus Bosch 056.jpgIl y a toujours un attroupement de clodo au bas de mon immeuble. Je dois en remercier une sorte de café social, juste à côté, où ils peuvent manger, picoler surtout, bramer et se battre une bonne partie de la nuit. (Quand on est déjà anxieux, pas moyen de dormir.)

Deux gars sur le pallier de mon immeuble piquent du nez devant une bouteille de vinasse; ils ont de grosses lèvres rouges et gercés, la face crouteuse, habillés comme en hiver. Un autre est debout devant eux, les cheveux longs, avec un gros clebs, une grosse veste.

Je pourrai pas les éviter.

-Pardon... leur dis-je afin qu'ils s'écartent.
-Vous auriez pas une petite pièce?
-Désolé...
Ils veulent pas se virer.
-Allez, tu reviens du magasin, mon gars. On t'as rendu de la monnaie...
Je pose mes sacs. J'arrive pas à trouver mes clefs.
-Tu nous laisses une petite bière, me fait l'un d'eux qui s'est mis à mater mes courses.
Je fais tomber mon trousseau, je le rammasse. Ils tripotent mes affaires avec leurs sales pattes.  J'éclate.
-Putain de merde, vous allez lâcher ça! Vous croyez que  je vais vous donner des thunes pour que vous alliez vous déchirer la gueule toute la nuit et m'emmerder un peu plus que vous le faites? J'en ai un bon, moi, de moyen pour gagner de l'argent, je bosse... Oui, je bosse, et même si ça  me fait chier comme vous pouvez pas imaginer. Donner de l'argent? J'ai même pas les moyens de boucler mes mois, avec tout ce que je suis allé à l'école. Parce que j'ai lu et je sais plusieurs langues, moi. Merde! De l'argent! Vous avez qu'à travailler, tiens... au lieu d'emmerder les gens qui en ont pas.

J'avais les mains qui tremblaient pour ouvrir la grande porte et je regardai ni n'entendis comment ils avaient pris ce vilain coup de colère.

Publié dans Nouvelles quotidiennes

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