T'aimer secrètement (un poème de Mihai Eminescu)

Publié le par Eminescu

T'aimer secrètement fut mon larcin,
Pour être à ton goût, car j'ai cru lire
En tes regards un éternel empire
De rêves voluptueux et assassins

Je n'en peux plus; ma flamme fond la cire
Du vain cachet qui cèle mon dessein;
Aussi veux-je brûler aux flammes de ton sein,
De l'âme qui me sait et me désire.

Mes lèvres et mes yeux de fièvre torturés
Les vois-tu donc, pour m'en guérir, ma reine,
Ma douce enfant aux longs cheveux dorés ?

Tu rafraîchis mon front de ton haleine,
Et ton sourire enivre ma pensée.
Ô viens contre mon coeur... ôte ma peine.

 

 

         Le Romantisme réussit la prouesse de chanter les désirs sans user d'un seul mot déplacé. On ressent ici les envie d'un homme - tout n'est que "flamme", "feu" ou "fièvre", les interrogations, l'invitation finale sont impérieuses  -, une pulsion, dirais-je, qui ne demande qu'à être assouvie; et le poète n'est jamais vulgaire. Il y a du Musset dans la sensualité du vers, dans l'évocation même de la femme aimée, cette "douce enfant aux cheveux dorés". Il y a du Baudelaire dans la noirceur, la cruauté des sentiments; il est question ici de "rêves voluptueux et assassins", de lèvres et d'yeux "de fièvre torturés". Mais Eminescu est plus profond que le premier et possède un goût plus sûr que le second: il ne sombre ni dans la perversion ni dans le sadisme qui accompagnent le poète maudit.

         Mais il pourrait surtout faire réfléchir les auteurs et cinéastes d'aujourd'hui et leur inspirer la nostalgie d'une époque révolue. Nos contemporains s'ingénient à raconter ou représenter des histoires d'amour dont le klimax est toujours une partie de jambes en l'air. Le plaisir charnel à son proxysme, l'orgasme, résume toute notre transcendance. L'image qui nous vient à l'esprit, quand on veut illustrer cette esthétique, c'est cette scène du Titanic où Jack se fait Rose derrière les vitres embuées d'une calèche. Vulgaire, voire ridicule. Les poètes romantiques faisaient tenir le moment fort de leur oeuvre dans la pureté d'un sentiment qui précède une union, union qui n'aura jamais lieu, qui comme ici n'est pas exprimée. On est en-deçà de tous rapports charnels. Mais on a voulu, afin de choquer le bourgeois, donner dans la subversion - et autres foutaises -, approcher de cet instant fatidique où l'idéalisation s'évanouit; on en est arrivé à la révolution sexuelle et tout a gravité autour de l'étreinte et des parties génitales. La poésie avait vécu.

        Ainsi on ne peut que ce plonger avec délice en cette fin du XIXe siècle, dans ce Romantisme mourant du grand Mihai, et profiter de ses évocations d'un désir suggéré.

Publié dans Littérature

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