Deux canons chez le Jean-Patrice (La pédophilie chez les prêtres)

Publié le par Eminescu

 

        Je m’étais permis, ce jour-là, de rendre visite à Chris chez ses parents. Il m’y avait déjà invité et assuré que je pouvais « passer quand je voulais ». Je l’avais pris au mot. Il fallait monter, après le C., une petite route à pic, jouer ensuite les funambules à la cime d’une crête bordée de chaques côtés par d’effrayants précipices. On parvenait enfin au « plateau ». C’étaient des étendues joliment vallonnées, des collines recouvertes de pâturages et de prés bien verts, agrémentées d’épicéas ou de bois de hêtres.

            Le père était occupé par ses machines. Chris m’avait prévenu. « Quand il a du travail, il fait comme si les gens n’existaient pas. Il répond, si on lui parle, n’enverra jamais paître personne, mais il fait ce qu’il a à faire. » Je ne dérangeai pas cet homme industrieux à la vareuse tachée d’huile de vidange.

            La mère de Chris, en revanche, me reçut avec une politesse presque excessive. Elle était en train d’essuyer sa vaisselle ; elle s’interrompit pour me servir un sirop. L’eau fraîche, qu’elle me versait d’une main tremblante, éclaircit à peine le liquide jaune vif, épais, sucré.

            -Vous êtes un ami de l’université ?

            -Non, j’étais surveillant à Grenoble, dans un collège où travaillait Chris.

            -Ah…

            Il y eut du bruit à l’étage. Sur ses poutres noires, le plancher trembla au rythme de pas rapides, l’escalier craqua. La porte s’ouvrit.

            C’était mon pote Chris qui arrivait.

-Ah ! Eminescu, c’est toi !

            Il me serra la main et s’assit. Il avait les yeux fatigués.

            -J’étais en train de préparer mes cours. Les gens croient qu’on fout rien pendant les vacances.

            Je sentis que je le dérangeais. En même temps, je me sentais pas de me tirer tout de suite - c’aurait fait mauvais effet.

On avait pas grand chose à se dire.

-Tu oublies pas ce que je t’ai dit, lança la mère de Chris qui rangeait ses verres.

            -Oui, me dit-il, je dois chercher du fromage chez un voisin. Il aime pas trop les gens qu’il connaît pas, mais bon… si tu veux, tu peux venir.

            J’avais rien de spécial à faire.

 

 

            Je remerciai la maîtresse de maison, nous montâmes dans la Focus de Chris. Il nous fallut descendre dans une faille profonde, après avoir dévalé des pentes raides, recouvertes de sapins noirs et clairsemées çà et là de coulées de pierres grises.

            La ferme de Jean-Patrice – c’était le nom du « voisin » -, bien calée au creux de ses énormes collines, présentait une cour étroite ; l’habitation, l’étable et la grange réunis auraient à peine suffi à une famille de classe moyenne.

            Je m’attendais à voir un petit vieux courbé avec une casquette et un menton en galoche. Je fus surpris de rencontrer un solide gaillard de quarante ans environ, en jean, qui sortait du fumier à la fourche. Il leva vers moi des yeux méfiants. Je remarquai qu’il portait des lunettes.

            -Tè ! Le jeune du Mas Méjean ! On travaille pas, aujourd’hui ?

            -C’est les vacances.

            -Ces profs, c’est toujours en vacances !… Et celui-là, ajouta-t-il d’un mouvement de tête, t’es allé le chercher où ?

            -Il s’appelle Eminescu. Il vient de Saint-Etienne.

            -Minescu ? c’est pas bien français ça.

            Il fallait comprendre, je crois, « Tu pouvais pas rester dans ton pays ? ».

            -…Allez !

Il fit un signe de la main et nous entrâmes dans une petite pièce contenant une table, une armoire, quatre chaises dépaillées, une grosse télé, quelques livres – j’en fus surpris -, un fatras d’outils divers et même du fil de clôture.

            Sur la table traînait un journal ; les affaires de pédophilie dans l’église catholique faisait la une.

            -Il boit le canon, lui ? fit-il en me désignant à nouveau du menton.

            -Oui, oui, te fais pas de soucis.

            Notre homme sortit une bouteille de rouge et trois petits verres sales qu’il remplit.

            -C’est pour les fromages ?

            -Oui.

            -Et ça ira au Mas Méjean ?

            -Oui.

            Cette fois, le sous-entendu, c’était : « Je travaille et je me lève tôt, moi, et pas pour des gens qui viennent toucher des allocations et veulent me commander dans mon propre pays… »

-A la vôtre !

            Le vin comme le personnage était infect. J’osais pas piquer une crise tout de suite et me casser ainsi de but en blanc. Surtout que j’étais venu avec Chris qui, lui, ne réagissait pas.

            Je baissais les yeux et regardais vaguement le journal. L’autre s’en aperçut.

            -Qu’est-ce qu’ils en pensent, les fonctionnaires, de ça ?

            Il avança en direction du journal une grosse main pleine de crevasses.

            -Les profs, dans le public, aiment pas trop les « cathos ».

            Sur son visage mal rasé apparut un sourire complice.

            -Dans les autres religions, tu crois qu’on en trouve pas autant des pédophiles ? Chez ces espèces de Chinois au crâne rasé, on viole jamais des gamins ?… Ils rabâchent à longueur de journée que les curés sont tous détraqués, mais on peut rien dire sur les autres. Hé ! Si sur cinquante ans, tu trouvais quelques juifs bien radins, ils te traiteraient de quoi ? Ils te diraient que t’es un antisémite !

            -C’est vrai que les médias font un lien un peu rapide entre la pédophile et le célibat des prêtres, rajouta Chris. L’autre jour, je lisais que 95% des actes de pédophilie ont pour cadre la famille. C’est l’affaire de types mariés. Et puis, dans la Grèce antique, les hommes libres avaient des femmes légitimes, des concubines, des prostituées, et tous étaient pédophiles. C’était même une institution.

Le Jean-Patrice nous resservit un « canon » en faisant claquer le goulot de la bouteille sur le rebord des verres.

            -Il y a pas si longtemps, c’en était bien, aussi, une institution chez eux. Cette bande de gauchos, ils te passaient en publicité des gamins à poil à longueur de journée. T’en as certains qu’on voit tout le temps à la télé, là, le… Cohn-Bendit, il y a trente ans, il se vantait dans ses bouquins de tripoter des gamins. Et votre ministre, Jack Lang, il disait que la sexualité des enfants était « un continent à explorer ». Ils te défendent des gros dégueulasses, des Polanski et des Mitterrands, lui il est même ministre, et ils vont s’en prendre à notre Pape. C’est bien un monde !

            - Il faut pas oublier que les mœurs ont changé depuis l’affaire Dutroux. Avant, que ce soit dans l’Eglise ou dans l’Education nationale, on cherchait plutôt à étouffer ce genre d’affaires. On va rechercher des choses qui ont plus de cinquante ans, mais il faut les replacer dans leur contexte… Puis, c’est vrai que la gauche libertaire parlait à une époque d’initiation à la sexualité des enfants et les médias, dans la foulée, ont tout sexualisé. Ils sont responsables quelque part de tous les cas de pédophilie.

            Nous finîmes nos verres.

            -Bon… fit le Chris, l’air de dire « on a bien assez discuté ».

            Le Jean-Patrice s’en alla chercher deux beaux fromages, tachetés d’une moisissure verdâtre, qu’il enroula, précisément, dans les feuilles du journal qui traînait sur la table.

            -Allez, petit prof, disait-il, plus calme. T’iras dire à tes collègues qu’on a quand même le droit d’être catholique en France.

            Chris prit les deux fromages sous son bras.

            -Je transmettrai le message… Merci pour tout.

            -Rentrez bien, répondit le Jean-Paul sans se lever de table et en se resservant un « canon ».

            Je suivis mon pote sans rien dire.

            -Il te chambre sur ton travail et toi tu dis « merci », lançai-je à Chris, une fois dans la Focus.

            -Tu sais, il a pas mauvais fond le Jean-Patrice. Il fait partie de la France profonde. Il travaille dur, il gagne pas grand chose. La télé, ça lui a tourné la tête. Quand il parle des profs ou de politique, il faut pas trop l’écouter. Mais il est pas bête. Il a fait des études et il lit. On pourrait parler histoire ensemble, il nous en apprendrait…

            L’auto remontait la pente.

            -Il était un peu limite, quand même, avec les étrangers…

            -Qu’est-ce que tu veux que je te dise ? Il pense bien ce qu’il veut.

Publié dans Nouvelles

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