Frères Muslims (quatrième épisode): Un cauchemar

Publié le par Eminescu

Ils ont des balles, nous avons des mots.

Paru précédemment sur le blog d'Eminescu:

Frères Muslims (prologue)

Frères Muslims (premier épisode): L'appel de Wassil

Frères Muslims (deuxième épisode): L'échappée belle

Frères Muslims: (troisième épisode): De l'ombre à la lumière

AVERTISSEMENT : Cette histoire, aussi choquante qu'elle puisse paraître, est basée sur des faits réels. Ils ont eu lieu dans un train en partance de Lille en janvier de cette année. Qu'on veuille la voir ou non, qu'on l'édulcore ou qu'on la censure, la réalité reste ce qu'elle est.

Marieke retira un écouteur de son oreille, interrompit sur son portable une chanson d'Adele. Elle se pencha vers ses copines. Ces dernières imitaient les formules de politesse qu'elles avaient apprise durant leur séjour linguistique. « Mais je vous en prie, mademoiselle » « Au revoir, à bientôt ! » « Tout le plaisir est pour moi ! » Comme ces Français étaient raffinés !

-Vous avez vu le gars, là-bas...

Les trois jeunes filles se retournèrent en même temps.

-Ne vous retournez pas !... Le gars là-bas, ça fait dix minutes qu'il nous fixe.

Eva, qui mangeait des biscuits aux céréales, aventura un coup d’œil. Elle secoua la tête avec une grimace de dégoût, ce qui agita ses cheveux blonds coupés au carré.

-Qu'est-ce qu'il est laid !

Après avoir vérifié chacune à leur tour, les autres confirmèrent.

-Je croyais que tu nous parlais d'un beau Parisien, reprocha Betty à Marieke.

Elle ramena ses deux mains sur son décolleté.

-Un mec romantique qui nous aurait invité à dîner sur un bateau-mouche, le long de la Seine.

-Un dîner aux chandelles, avec pour décor Notre-Dame et la tour Eiffel.

- « Mademoiselle, je vous aime » s'exclama Fransiska en imitant une voix d'homme.

- « J'ai envie de vous embrasser. »

Toutes les quatre éclatèrent de rire.

-Ce gars a quand même l'air bizarre, fit remarquer Marieke, plus sérieuse.

Du coin de l’œil, elles détaillèrent l'étrange individu. C'était un homme de taille moyenne, fortement charpenté, qui portait une veste et un pantalon en jean. Il était sale et parlait très fort au téléphone.

-Faut pas faire attention à lui. Ça l'attirerait.

Ces propos rassurèrent vaguement Marieke, qui remit ses écouteurs et relança la chanson d'Adele.

L’individu glissa son portable dans la poche de sa chemise, s'approcha en remuant les épaules.

Celui que les quatre jeunes femmes prenaient pour un homme d'âge mûr n'était qu'un adolescent de seize ou dix-sept ans.

Il se posta devant elles avec un large sourire en coin. Elles l'ignorèrent.

-Do you speak English ?

Eva ne put s'empêcher de répondre « yes ».

-Where are you from ?

-Netherland...

-I'm Syrian. I come from Raqqa. Have you heard about my country in the news ? demanda le jeune homme. Il roulait les « r ».

Les Hollandaises, évidemment, avaient entendu parler de la Syrie aux informations. Elles repensèrent aux images de guerre qu'elles avaient vues à la télé, à ces familles que des policiers sans cœur parquaient comme du bétail dans des camps de transit.

Marieke ôta ses écouteurs.

Elles furent attentives aux misères de ce pauvre adolescent. Dans un anglais difficile, il leur expliqua comment sa famille avait gagné les côtes grecques. Ils s'étaient entassés à sept sur un pneumatique. Ballottés par les flots, se fiant en dernier recours à leur gilet de sauvetage, ils priaient Allaouah afin de ne pas croiser les patrouilles de la marine turque. On les aurait capturés ou simplement coulés.

En même temps, sa vulgarité inquiétait les jeunes femmes. S'il cherchait ses mots pour relater son périple, il ne manquait pas de « mother fucker ! » ou de « son of a bitch » pour parler d'Assad ou des gardes frontières. Il bombait le torse et répétait toutes les dix secondes, en se frappant la poitrine : « I'm Syrian ! ».

Il interrompit de façon assez abrupte le récit de son débarquement en Europe et lança aux belles Hollandaises un regard de Playboy.

-Do you have time ?

-No, not so much, répondirent les demoiselles.

-Just a little ?

Elles regardèrent le grand panneau des départs. Leur train serait à quai dans un quart d'heure.

-You can take another one later, leur proposa le Syrien. I want to invite you...

Il voulait les inviter dans un kebab, tout près de la gare. « Chez Mustafa ». Il embrassa ses doigts en évoquant les frites, la sauce blanche et la viande d'agneau épicée qui vous mettait le feu à la bouche.

-No, thank you, trancha Marieke.

-Come on ! insista l'autre.

Les jeunes filles secouèrent la tête. « No! No ! No ! » La compassion que leur avait inspirée le réfugié fit place à de l'embarras. Elle ne savait plus comment s'en défaire.

Le Syrien se tut. Elles croyaient qu'il avait compris le message, mais il se tourna vers Eva, baissa les yeux sur sa poitrine et l'empoigna par le col de son pull-over. C'était celle qui, pensait-il, lui offrirait le moins de résistance.

Les autres se mirent à crier : « Help ! Help ! »

Deux agents SNCF accoururent. Le jeune homme relâcha sa proie.

-Il veut nous attirer dehors, expliqua Betty, dans un français sans accent. On n'est pas d'accord, mais il veut rien entendre. Il a cherché à entraîner mon amie de force. On a peur !

-Monsieur ! lança l'un des deux agents à l'attention du Syrien. Veuillez laisser ses demoiselles tranquilles. Si vous ne venez pas ici pour prendre le train, il vous faut quitter cette gare.

L'autre le regardait sans réagir.

-Vous comprenez ce que je vous dis ?

-Pas comprendre frahançais.

-Il parle anglais, intervint Marieke.

-Euh, Patou, tu peux lui expliquer en anglais, toi ?

Le deuxième agent fit la tête.

-Let girls.... peace..., s'essaya-t-il. Go out !

-Fuck you ! Fuck you, men ! I have rights. I'm a refugee !

Sans vraiment saisir les insultes et les plaintes, les deux agents le prirent chacun sous un bras et le traînèrent vers la sortie. « I shit on your mothers, I shit on your fucking country », criait le Syrien entre deux injures en arabe.

Les quatre Hollandaises respiraient un peu plus librement. Eva croyait en être quitte pour sa frayeur, mais les portes automatiques s'ouvrirent à nouveau. Le jeune hommes reparut, son smartphone à l'oreille. Il braillait.

Se méfiant des agents, il n'osait pas approcher. Il restait à quelque distance de là, à la sortie du métro.

Deux adolescents plus petits, mais tout aussi inquiétants, surgirent bientôt des escalators. Ils semblaient sortir de terre.

-Wassil ! s'écrièrent-ils.

Il s'ensuivit des embrassades et des propos en arabe que les jeunes filles ne comprirent pas. Alors Wassil les montra de la main et elles croisèrent les regards libidineux de ses deux acolytes.

La nuit tombait sur Lille. Il leur semblait avoir face à elles des créatures de films d'horreur. Leur séjour en France tournait au cauchemar.

Derrière elles se trouvaient une barrière, et les voies en contre-bas.

-Allons-y, les filles, lança Marieke.

Les Hollandaises empoignèrent leurs sacs à main et firent rouler leurs lourdes valises. A l'entrée des quais, elles présentèrent leurs titres de transport à un agent, qui les inspecta avant de les valider, trimbalèrent leurs bagages dans l'escalier avec peine.

-Ils ont pas de billet, ils pourront pas nous suivre.

Elles s'assirent enfin au bord des voies pour souffler. Leur TGV allait arriver d'une minute à l'autre.

Fransiska s'en alla vérifier sur le panneau d'affichage l'emplacement de leur voiture. Elle et ses copines venaient d'échapper à trois obsédés, mais elle éprouvait malgré tout une sensation désagréable. Elle se retourna, leva les yeux vers la salle d'attente où elles se trouvaient quelques instants plus tôt, à une dizaine de mètres au-dessus des rails. Les trois Syriens l'observaient, penchés à la barrière.

Fort heureusement, l'agent à l'entrée des quais les empêchait de descendre.

La pointe fuselée du TGV se profila au loin, puis ses wagon défilèrent devant les jeunes femmes, agitant leurs cheveux blonds.

Mais Fransiska vit un premier Syrien se tenir à califourchon sur la barrière et se laisser tomber dans les grillages de sécurité, un ou deux mètres en-dessous. Mettant la main devant sa bouche, elle le montra du doigt à ses copines. Toutes les quatre étouffèrent un cri de terreur. Les deux autres Syriens imitèrent le premier. Rampant sur le grillage, ils avaient prévu de contourner l'agent qui leur barrait l'entrée des quais.

Un contrôleur non loin de là fut alerté par des voyageurs et se mit à courir dans leur direction. Son talkie-walkie à la main, il prévint ses collègues dans le hall de la gare. Les trois intrus, s'agrippant à la rampe, gagnait l'escalier. Deux agents surgirent au-dessus d'eux.

Les Hollandaises se jetèrent dans le TGV. Leur cœur battant à tout rompre, elles virent les portes de la machine se refermer avec une satisfaction indicible. Elles étaient sauvés. Encore sous le choc, elles laissèrent leur lourde valise à l'entrée et glissèrent leurs sacs à main dans les porte-bagages à l'intérieur du wagon. Elles parlaient nerveusement de l'incident survenu. De retour à Rotterdam, elles auraient bien des histoires à raconter à leurs amis et à leurs proches !

Comme elle se défaisait de son manteau, Eva sentit tout à coup quelque chose de froid glisser le long de ses fesses, une haleine fétide, comme un sifflement dans son cou.

Elle se retourna et croisa les yeux effilés de Wassil.

Ses doigts se crispèrent le long de ses joues, un frisson parcourut tous ses membres : Eva ferma les yeux et hurla de toutes ses forces.

Titre original: Alien. Titre québécois: L'Etranger. C'est pas moi qui le dit, c'est Wikipedia. Si vous me croyez pas, allez vérifier!

Titre original: Alien. Titre québécois: L'Etranger. C'est pas moi qui le dit, c'est Wikipedia. Si vous me croyez pas, allez vérifier!

Publié dans Nouvelles

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