Les La Trémoilles

Publié le par Eminescu


           Le héros d'Une fleur de lys (Mon roman ) est le dernier descendant d'une famille noble des plus illustres: les La Trémoilles. Il faut dire qu'il en est particulièrement fier, jusqu'à en être assez insupportable. Il n'est rien de plus fascinant cependant que l'étude de la généalogie des grandes familles. L’on en vient à trouver un fil lumineux dans ces ténèbres, ce chaos sans nom qu’est l’histoire. En témoigne la famille de Polignac, originaire d’une terre du Velay, dont les racines se perdent dans la nuit des temps. On les faisait descendre de l’aristocratie gauloise de la fin de l’empire romain. Le nom même de Polignac ne serait rien d’autre que la déformation d’Apollinaire, du nom du frère du grand poète. L’on relierait ainsi deux civilisations à travers une seule famille. Légende que tout cela ? Mais est-il interdit de rêver ? La famille royale
- n’oublions pas qu’un des fils du comte de Paris pourrait encore régner - descend d’Hugues Capet, qui lui-même, par sa mère, est issu de Charlemagne. Voici donc un pont entre deux grandes dynasties de notre histoire. Mais les Carolingiens n’avaient-ils pas eux-aussi contracté quelque alliance avec les Mérovingiens au temps où ils étaient maires du palais, et même par la suite ? Il me faudrait lire les grands historiens de ce Haut Moyen Âge qui est si passionnant.

Quoi qu’il en soit, la famille dont j’étudie la généalogie remonte à un certain Pierre qui vivait sous Henri Ier au XIe siècle. Selon certains généalogistes, il aurait quelque lien avec les comtes du Poitou, si bien que la maison de la Trémoille plongerait aussi ses racines à l'époque carolingienne. Et je me plais, dans mon roman, à imaginer les ancêtres francs de mon héros : ces guerriers aux cheveux longs, armés de leur redoutable francique.

 

 

Georges de La Trémoille 

 

Figure haute en couleur d’une fin de Moyen Âge que l’on voudrait aussi triste et mélancolique qu’un poème de Villon. Ses biographes, même les plus récents - et par la même les moins susceptibles de subjectivité - ont peine à cacher leur animosité quand il parle de lui. Cruauté, fourberie, traîtrise, violence, ambition, cupidité : les moindres événements de sa vie font ressortir les vices que notre époque condamne le plus vivement.

Georges de la Trémoille ménage tour à tour ses relations avec les deux parties qui s’entredéchirent dans le royaume : les Armagnacs favorables au futur Charles VII, le pauvre « roi de Bourges », et les Bourguigons, qui comme leur nom l’indique soutiennent le duc de Bourgogne, Jean sans Peur, et « collaborent » avec l’occupant anglais. Il utilise subtilement Jeanne d’Arc pour attaquer ses ennemis, ou au contraire l’empêche de poursuivre le siège d’une ville pour conserver une amitié qui peut lui servir. Il battra sa première épouse qui est une princesse de sang royal de ce qu’il ne pouvait s’emparer de biens qu’elle destinait à sa cousine. Devenu, par ses possessions, l’un des seigneurs les plus puissants du royaume, il procède à de véritables brigandages sur ses terres. Il entre en guerre ouverte avec le connétable de Richemont qui était pourtant à l’origine de son ascension. Les enlèvements ou tentatives d’enlèvements se succèdent. Emprisonné, contraint à payer une forte rançon, il se retire sur ses terres où il entre en conflit avec l’autorité royale. En 1439, il participe à la Praguerie. Evénement assez méconnu de notre histoire qui voit les grands du royaume - dont le Dauphin - se soulever contre Charles VII. Le roi écrasera les rebelles et pardonnera non seulement à son fils, mais aussi à La Trémoille, qui ne le méritait guère. Il meurt à un peu plus de soixante ans d’une vie bien remplie. Il est inhumé dans la chapelle de son manoir de Sully qui donnera par la suite son nom à un ministre célèbre d’Henri IV…

George de La Trémoille avait épousé en secondes noces Catherine de l’Ile Bouchard, veuve d’un certain Louis de Giac, favori du roi avec lequel il s’était querellé et qu’il avait fait noyer. Par ce second mariage, il est le trisaïeul de Catherine de Médicis et par la même de bien des souverains d’Europe.

 

 

Louis II de La Trémoille dit le « Fameux Louis »

 

Personnage d’une moralité bien plus haute que le précédent et qui fut toujours fidèle à la couronne de France. En témoigne sa devise : « Sans sortir de l’ornière ». Il est une des figures marquantes de cette période de notre histoire qui voit s’éteindre le Moyen Âge avec l’avènement de la Renaissance. Il participe à la « Guerre folle » au cours de laquelle les grands du royaume se soulèvent contre la régente Anne de Baujeu, fille de Louis XI, pendant la minorité de Charles VIII. Troubles malheureusement inhérents à notre monarchie, qui préfigurent la Fronde au XVIIe siècle. Cette fois, c’est un cousin, le duc d’Orléans, allié au duc François de Bretagne, qui veut s’emparer du pouvoir. La Trémoille, brillant général, se trouve du bon côté. Il écrase les armées rebelles à Saint Aubin du Cormier. Il fera même prisonnier le duc d’Orléans, le futur Louis XII. Ce dernier aura un mot qui devait rester dans l’histoire lorsqu’il parvint enfin sur le trône - car le pauvre Charles VIII se fracassa le crâne sur un liteau de porte  : « Un roi de France ne venge point les querelles d’un duc d’Orléans. »

 Il occupera la plupart des villes du duché de Bretagne, assiégera Rennes et forcera le mariage de la duchesse Anne et de Charles VIII. Ainsi, grâce au fameux Louis, la Bretagne fut rattachée à la couronne de France.

Il participera également à ces guerres d’Italie qui amèneront en France un goût nouveau pour les arts. Il est aux côtés de Charles VIII et de Louis XII, puis de François Ier. Il était marié à Gabrielle de Bourbon Montpensier. J’ai pu lire quelques lettres de leur correspondance, des lettres que Louis envoie du sud de la France, d’Italie. L’on sent entre les deux époux beaucoup de tendresse et un attachement sincère. L’on y trouve de ces mots tendres que l’on n’imagine pas sous la plume d’un si éminent personnage. Gabrielle souffrit beaucoup de l’éloignement de son époux et « employait ses journées » comme le dit l’un se ses biographes de la Renaissance « en broderie et autres menus ouvrages appartenant à de telles dames… elle se retirait en son cabinet bien garni de livres, lisait quelques histoires ou chose morale ; et s’y était son esprit ennobli et enrichi de tant de bonne science. » Engagé aux côtés de son père, son fils mourra à Marignan. Elle ne s’en remettra jamais et décédera un an après.

Louis trouvera lui-même la mort au désastre de Pavie à l’âge de soixante-quatre ans. L’on n’oubliera pas que la France lui doit l’acquisition de deux belles provinces, la Bretagne mentionnée ci-dessus et la Bourgogne.

 

 

Philippe-Henri de la Trémoille, prince de Talmont

 

Il s’agit de la figure historique qui compte le plus dans mon roman. Mon héros se réfère fréquemment à lui, affiche dans son appartement de Brest des reproductions de tableaux le représentant. C’est même de lui que m’est venue l’idée de choisir les La Trémoilles comme famille d’un héros que je voulais noble. Je m’intéressais alors à l’épopée des Vendéens et c’est en étudiant de près la généalogie de ses principaux meneurs que j’ai trouvé l’histoire passionnante de cette illustre lignée.

 

Ayant un peu du caractère de son lointain aïeul de la guerre de cent ans, Philippe-Henri connut une jeunesse extrêmement dissolue. Quand éclate la  Révolution, cependant, il se range résolument aux côtés des Blancs. En 1792, après une conjuration avortée, il fuit en Angleterre comme bien des nobles, Antoine-Philippe de La Trémoïlle de Talmontpuis s’engage sur les bord du Rhin dans l’armée des Emigrés sur laquelle Chateaubriand, dans ses Mémoires d’Outre-tombe, s’étend longuement. Notre écrivain était un simple soldats qui portait dans ses bagages,  René et Attala, « ses deux jumeaux », et le prince de Talmont était aide de camp du comte d’Artois, le futur Charles X. Association pour moi riche de signification : Charles X fut un Saint Louis égaré au XIXème siècle, il sera tout aussi intransigeant que la Trémoille sur la religion, les valeurs de l’Ancien Régime ; comme La Trémoille, il voulut ne faire aucune concession à la Révolution, comme La Trémoille, il échoua…

Notre homme fut envoyé en France avec un plan d’insurrection, il est arrêté. Un oncle à lui, habilement, l’aide à s’évader, il  gagne alors Saumur que les Vendéens viennent de prendre. L’arrivée d’un homme grand comme il était, jeune - il avait alors vingt-cinq ans -, bien fait de sa personne, dont la famille était si ancienne et si illustre dans tout le Poitou, fit sensation dans cette insurrection de paysan qui avait éclaté depuis peu et qui se cherchait des meneurs. Je ne puis ici m’empêcher de parler de l’épopée vendéenne, que l’ont peu admirer non pas comme idéologue, mais comme esthète, de la manière dont les romantiques furent fascinés par Napoléon. Les paysans de Vendée trouvèrent des meneurs en la personne de leurs seigneurs, mais aussi de roturiers comme Cathelineau ou Stofflet. C’était de jeunes gens fougueux, animés plus que les révolutionnaires, de convictions sincères. On se souviendra de la résolution sublime de La Rochejaquelein : « Si j’avance, suivez-moi ! Si je recule, tuez-moi ! Si je meurs, vengez-moi ! » Ces meneurs durent constamment se battre aux premières lignes, essuyer les premières salves ennemis, pour entraîner des troupes souvent méfiantes. Ils savaient en leur for intérieur que leur entreprise était vouée à l’échec. « C’est le pot de terre contre le pot de fer », aurait dit d’Elbée alors que des paysans venaient le chercher dans son château. Ils choisirent de mourir jeunes pour une cause qu’ils croyaient juste. Et quels exploits, quelles prouesses ! A des armées qui, plus tard, devaient faire trembler l’Europe, quelles défaites cuisantes ont infligé ces Vendéens au Sacré cœur cousu sur la poitrine !

 

 

Les historiens que j’ai pu lire sont assez mitigés quant au rôle du prince de Talmont dans cette épopée vendéenne. Comme pour son aïeul, sa condescendance agace. Il croyait probablement valoir plus que les autres de par ses origines et que le commandement était dû à des hommes de son rang. Il lança l’armée catholique et royale dans l’improbable virée de Galerne qui, de l’autre côté de la Loire, devait rallier les Vendéens aux Chouans et à un débarquement anglais. Il aurait cherché à fuir en Angleterre après une tentative vaine devant la place forte de Granville. Il fit quoiqu’il en soit des prodiges de valeur et montra un courage sans faille à chaque bataille. Certains pensent qu’il aurait pu prendre de court la République et foncer sur Paris. Je me suis plu à imaginer dans mon roman une victoire possible, une Restauration de la monarchie qui ne viendra que vingt ans plus tard.

Le retour et surtout la traversée de la Loire tourna au désastre ; l’armée catholique et royale essuya des pertes considérables. C’en était fait d’ailleurs de ses chances de réussite. Blessé de n’avoir pas été élu généralissime à la place de la Rochejaquelein, Philippe-Henri de la Trémoille s’en va déguisé en paysan. Il est capturé par des gardes républicains. Il est jugé de manière sommaire comme savait le faire un régime qui a inventé pourtant les droits de l’homme. On fait de son procès une revanche du peuple sur les nobles. Et quelle réplique admirable à son bourreau ! « Tu es un aristocrate et je suis un patriote », lui disait celui-ci. « Tu fais ton travail et je fais mon devoir ». 

Sa tête fut exposée sur une pique aux portes de son château.

Philippe-Henri de la Trémoille avait un fils qui participera aux guerres napoléoniennes. Il n’était pas l’aîné, mais le cadet des La Trémoille ; son frère, émigré en Angleterre, de retour en France, aura une descendance jusqu’en 1934, où s’éteignent en ligne directe les La Trémoilles.

 

Tout mon roman repose donc sur un personnage au caractère similaire, une véritable inversion des valeurs. Mon héros n’est pas ce personnage simple qui par son courage va en remontrer à des gens qui le méprise. Tout cela est si commun, morale mesquine partout présente, une sorte d’héritage des avant-gardes, où il s’agirait d’attaquer un ordre bourgeois avec des arrières pensées de justices sociales. Contrairement à moi qui suis fils  d'immigrés, les Flaubert, les Sartre et autres appartenaient tous à cette bourgeoisie. Mais là n’est pas l’important : je ne m’intéresse pas à la politique ou si je m’intéresse à des idées, c’est uniquement en esthète, car je ne crois pas pouvoir changer le monde. L’originalité de mon roman va résider donc dans ce héros hautain et méprisant, fier du passé de ses ancêtres, qui va en remontrer au peuple, à la masse, au monde entier.

Tout au long du roman, on le verra douter, il va s’enférer dans une attitude qui le rongera de l’intérieur, la vie peut-être le mettra à genoux. Mais il ne voudra pas transiger sur sa fierté. Peu importe la morale : cela est beau.

 

 

 

 

Face à l’Histoire

 

            Que sommes-nous face à l’amoncellement formidable des siècles, ces rois et paysans, nobles et bourgeois, enchevêtrés dans l’écoulement vertigineux ?

            Une larme d’un œil fasciné qui roule et vole dans un torrent.

 

          Je me suis assez étendu sur le fond historique de mon roman, une génalogie qui donne plus d'épaisseur au personnage principal. Je vous invite vivement à lire les extraits que j'ai mis en ligne (Mon roman ). Je vous rappelle en outre que je veux bien vous envoyer le roman gratuitement et dans son intégralité si cela vous intéresse.

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